Un entretien avec la pianiste Hà TRAN,
fille aînée du grand et inoubliable comique, TRAN VAN TRACH

Diễm Đào (le Magazine Ngay Moi Paris)

Le 1er octobre 2017, par un après-midi pluvieux, j’ai été invitée à un concert de la pianiste Ha TRAN en l’Eglise américaine de Paris. Ce jour-là, malgré le temps maussade, les spectateurs y étaient venus très nombreux. Ha Tran, gracieuse dans sa tunique traditionnelle vietnamienne apparaissait sous les applaudissements des spectateurs. Puis le silence tomba. Les doigts magiques de cette musicienne dansaient sur les touches du piano, elle transportait les auditeurs vers un jardin musical.
A la fin du concert, tout le monde s’était levé et a salué la pianiste par des applaudissements interminables. Parmi les spectateurs, quelques français, en me regardant, ont fait la remarque suivante : « C’est vraiment étonnant qu’une musicienne vietnamienne puisse jouer aussi merveilleusement du piano ! ». C’était un compliment mélangé d’étonnement et de condescendance comme si une asiatique n’était pas capable de jouer d’un instrument occidental. »
Les applaudissements continuèrent de plus belle et la pianiste réapparut. Pour remercier les spectateurs, elle joua un autre morceau intitulé Intermezzo No 1 du compositeur mexicain, Manuel Maria Ponce.
A la fin du concert, comme les gens l’entouraient pour la féliciter, je ne pus l’approcher. Je lui ai envoyé un mail pour solliciter une interview afin de comprendre mieux sa vie, son parcours professionnel, celui d’une musicienne vietnamienne vivant dans un pays étranger.

D D : Vous descendez d’une lignée de familles de musiciens traditionnels du Vietnam depuis cinq générations, pour quelle raison avez-vous choisi la musique occidentale ?
Quelle a été la réaction de votre famille quand vous avez choisi la musique occidentale au lieu de la musique traditionnelle vietnamienne ?
H.T : Quels motifs m’ont emmenée à la musique occidentale ? En fait, quand j’étais petite je ne savais pas trop ce que j’aimais. Mon père qui m’a souvent accompagnée à mes cours de piano m’a guidée. C’est ainsi que j’ai suivi cette voie et je pense qu’il y est beaucoup dans ce choix.

D D : Pouvez-vous nous raconter le parcours qui vous a conduit vers le monde de la musique occidentale au point d’avoir une notoriété aujourd’hui ? En quelle année avez-vous commencé à étudier le piano ? Dans quel conservatoire ? et enfin, quand avez-vous été diplômée ?
H.T : J’ai commencé à étudier le piano à l’âge de 8 ans au Conservatoire de Saigon qui avait les mêmes programmes d’études que celui de Paris. J’ai quitté le Vietnam pour venir en France après le changement de régime. J’y ai trouvé une nouvelle vie ! Mon but était de continuer mes études afin de passer les concours pour devenir Professeur de piano.
J’ai reçu la médaille d’Or du Conservatoire à Rayonnement Municipal (CRM) de Fontenay-sous-Bois, qui m’a permis d’avoir un Diplôme d’enseignement. Ensuite, j’ai eu le Premier prix de Piano au Concours International NERINI en 1985 puis obtenu la Licence de Musique à l’Université Panthéon à la Sorbonne. En 2014, j’ai eu le Diplôme d’Etat (DE) du Ministère de la Culture en France. Depuis 2017, je continue à suivre la Licence d’Enseignement à l’EcoleNormale de Musique de Paris.
Je suis reconnaissante envers mon professeur André GOROG au près duquel j’ai suivi les cours pendant de nombreuses années. C’est un grand musicien et un éminent Concertiste. Il a aussi été l’élève d’ArthurRUBINSTEIN, de Marguerite LONG et d’AlfredCORTOT.
J’ai souvent participé aux Programmes de pratique du piano à Courchevel. En2016 et 2017, j’ai participé au Master Class à Mont-Dore avec Carlos Cebro, Concertiste et Directeur du Concours International de Piano de Barcelone et de Brest. Carlos est un des élèves du célèbre musicien Vlado Perlemuter.
Parallèlement, je suis aussi les cours du Professeur Michael Wladkoski. L’enseignement me prend beaucoup de temps. Actuellement, je suis Professeur de Piano au Conservatoire de La Garenne-Colombes, et en même temps, je prépare le concours ATEZ (Assistant Territorial Artistique) en 2018 dans le but d’être Titulaire.

D D : Parallèlement à un statut de Professeur de piano, vous menez une carrière de concertiste dans le domaine musical à Paris. Dans ce parcours, pour atteindre une certaine notoriété, vous avez été sûrement confrontée à des obstacles susceptibles de vous décourager ?
H.T : Dans le domaine artistique, j’ai été confrontée à beaucoup d’obstacles, surtout quand on a la « peau jaune ». J’ai aussi eu des difficultés financières mais la jalousie et l’indifférence sont les obstacles les plus durs que j’ai affrontés. Pour moi, toutes ces difficultés ne m’ont pas découragée. Je suis issue d’unefamille de musiciens depuis cinq générations du côté de mon père mais du côté de ma mère, c’est une famille qui a trois générations de commerce. Je serai toujours reconnaissante envers ma mère qui m’a beaucoup aidé financièrement à chaque fois que j’ai eu des difficultés.
J’ai aussi une sœur et un frère, j’ai grandi dans deux mondes différents mais, moi, j’ai choisi la musique. Le décès de mon père en 1994 est une grande perte pour moi mais cette disparition est sûrement une motivation pour me pousser à « faire quelque chose » pour que dans l’autre monde, mon père soit fier de moi. Ce sont des éléments qui m’encouragent pour traverser des moments de solitude. Parfois je me sens un peu découragée. Mais chaque fois que je pense à mes parents qui ont tant sacrifié pour moi, de plus, avec mon âme vietnamienne, je me sens plus forte. Il faut que je montre aux Français, àtravers mon travail, que les Vietnamiens sont un peuple imprégné de quatremille ans de culture et de civilisation. Le Vietnam n’est pas un pays de guerre mais c’est un pays nourri par l’Amour musical et artistique.

D D : En dehors des cours enseignés au Conservatoire de la Garenne-Colombes, ainsi que les participations aux festivals de piano, avez-vous le temps de donner des cours particuliers ?
H T : Les cours particuliers sont nécessaires pour compléter mes charges.

DD : En tant que Professeur de Piano, quels conseils donneriez-vous aux débutants de piano ?
H.T : Pour apprendre la musique, l’essentiel, c’est le travail et la patience. A mon avis, je pense que le talent nous aide à apprendre plus vite que les autres mais ce n’est pas le seul facteur. La volonté, la patience sont des qualités qui aident les gens à aller plus loin pour atteindre leur but, comme dit le proverbe : « Avec de la patience et de la persévérance, on vient à bout des choses les plus difficiles. » (PubliliusSyrus).

D D : Jusqu’à maintenant, à combien de concerts avez-vous participé ?
H.T : J’ai participé à de nombreux concerts, j’ai organisé avec l’aide de Valérie Chadian, un grand Festival de Piano (16 mains) au Conservatoire De Vélizy (78140) en 2016.
J’ai joué du piano à l’Ecole de Musique de Dammartin en Goële, à la Cité de la Musique, au Club Méditerranée àMarbella, à Djerba La Douce et à Opio .J’ai fait aussi un concert d’échangesentre deux Conservatoires, celui de Garenne-Colombes et celui de Neuilly-sur-Seine et, enfin, un Concert à l’église Sainte- Croix des Arméniens à Paris.
J’ai aussi joué du piano à l’Hôpital Gustave Roussy (en 2013 et en 2017). A l’Hôpital Gustave Roussy à Villejuif, j’ai joué pendant trois années consécutives (de 2014-2017) sous la bienveillance du Professeur Gérard Pierrot. J’ai donné un concert à l’occasion des 60 ans de profession de la chanteuse vietnamienne Bach Yen au studio Raspail à Paris 14ème en 2016.
J’ai joué du piano dans quatre grands concerts mais j’ai fait) souvent des petits concerts à l’hôpital Gustave Roussy depuis 2014. Chaque année, j’y ai joué 45 minutes. J’ai joué pour les patients, pour les malades pour qu’ils ne se sentent pas abandonnés.
J’ai participé à un récital de piano le 1erOctobre 2017 à l’Eglise Américaine de Paris (75008 Paris) où j’ai eu la chance et le plaisir de jouer sur le piano Steinway du grand musicien de Jazz Cole Porter (1891-1964).

D D : Quels souvenirs marquants avez-vous retenus de votre parcours professionnel ?

Un moment d’émotion !
HT : J’ai quand même des moments de joie, c’est quand je pense à mon père. Quand je pense que mon père est fier de moi, il m’arrive quelques fois d’être triste en pensant aux souffrances qu’il a endurées avant de mourir. Ces images douloureuses envahissent une grande partie de mon esprit.
J’ai lutté dans mon travail tout d’abord pour que mon père soit fier de moi et en même temps pour montrer aux Français que le peuple vietnamien est peuple courageux malgré tous les malheurs de la guerre.

D D : Le travail, les activités professionnelles vous prennent beaucoup de temps. Combien d’heures consacrez-vous au piano par jour ?
Arrivez-vous à trouver un petit moment pour vous distraire ? Quel genre de divertissements aimez-vous ?
H.T : Je travaille beaucoup, donc je n’ai presque pas de temps pour les divertissements. Je me concentre dans mes études pour progresser professionnellement. Quelque fois, je sors, pour manger avec des amis afin de garder des relationsamicales ou professionnelles. Ah, j’aime bien faire du shopping parce que j’adore les beaux habits. J’aime bien aussi la danse, la mode.

D.D : Maintenant, on va changer de sujets mais si vous ne les trouvez pas intéressants ou que ces sujets vous dérangent, nous pouvons nous arrêter là.
Quand vous vous êtes décidée à faire carrière dans le monde musical occidental, parmi les célèbres musiciens comme Johann Bach- Amadeus Mozart- Ludwig van Beethoven- Franz Liszt Schubert- Johannes Brams
Quel musicien admirez-vous le plus ? Vous a-t-il influencé au point d’en devenir votre guide dans ce monde musical ?
H.T : Je suis rêveuse, c’est pourquoi Chopin est celui que j’admire le plus mais je ne fais pas que rêver car, en moi, il y a un mélange indescriptible entrerêverie et révolution !

D D : D’après vous, quelle est la technique la plus pertinente pour bien jouer du piano, aujourd’hui ?
H.T : Pour moi, sur le plan physique, il faut travailler à la souplesse du corps. Evidemment, il faut réfléchir, se concentrer et écouter les notes que l’on joue. Bien sûr, la position des mains sur les touches et la pratique sont des techniques de base. En plus, pour moi quand on joue il faut oser montrer tout ce qu’on a dans notre cœur, il ne faut pas être timide, il faut être sincère avec le public. La majorité des professeurs nous conseillent de pratiquer à longueur de journée mais à mon avis, surtout, ilfaut contrôler le trac, il faut aimer la scène, la lumière et les spectateurs !

D D : Merci Ha Tran pour cet interview